mardi 31 octobre 2017

ERSHTER YORTSAYT ערשטער יאָרצײַט

VINKL LITÈ
Papa avait un goût prononcé pour le chiffre 1.


Né le 1er mai, il est parti le 1er novembre qui correspondait aussi l'année dernière 5777 au 30 Tishri, soit le 1er jour de Rosh hodesh Heshvan!
Ce n'est pas non plus parce qu'il est mon héros numéro 1 - c'est banal chez les filles, paraît-il - qu'il n'a pas été un héros.

Nous découvrons au fil de sa biographie son intelligence de petit garçon voué à être le gagne-pain de la maisonnée, d'adolescent turbulant se livrant sans le savoir, défi après défi, à une forme d'initiation éphébique (Le Chasseur Noir de Pierre Vidal-Naquet ne lui a été connu que bien plus tard, par mes soins).
Bon, voler des pommes dans les jardins les plus difficiles d'accès n'est pas comme de courrir nu à travers la forêt la nuit durant.... Mais il y avait le lac été comme hiver et les aventures qu'il offrait, et le travail tard, très tard, dans la nuit, chez tous les patrons tailleurs dont il a gravi les échelons, du plus médiocre au plus sophistiqué de Telz. Une enfance prolétarienne avant même de savoir ce que ce terme signifie.
Son épreuve la plus difficile aura peut-être été de surmonter tout sentiment mesquin (notamment par rapport à son frère aîné qui peut à loisir étudier, pratiquer le sport et faire de la politique), afin de se montrer digne de la seule qui ait sur lui quelque ascendant, sa mère vénérée. Une figure tendre du judaïsme lituanien, éclairé, rigoureux, et sans aucune fioriture, comme on les découvre dans la littérature yiddish. Une soeur spirituelle de la mère de Haïm Grade, telle qu'il la décrit dans Der mames shabosim (1955).


Quatre garçons à la maison et quatre yeshiva bokherim pour faire bon poids. Ils sont là aussi pour distribuer la nourriture spirituelle contre un peu de nourriture terrestre. À Telz, comme dans tout le monde ashkénaze, c'était une tradition - esn teg, littéralement manger des jours - de loger et nourrir les étudiants de la Yeshiva, la plus prestigieuse institution de la ville juive, quand bien même la maison était pauvre. Ils assuraient ici une présence masculine, éducative et morale en l'absence du père.

L'arrivée de la guerre et l'éclatement du monde familier ouvrent au jeune Ulysse les routes aventureuses et inquiétantes où il va exercer sa métis et son sens de la survie.
Survivre comme réfugié jeté sur les routes bombardées ou plus loin, au hasard des errances, aux confins du goulag sibérien, avec un croûton de pain au fond de son balluchon, exige un flair de fuyard.
Interné dans un kolkhoze uzbek où il est réduit à l'état d'esclave avec un groupe de komsomols, Moishe insiste (hormis les ripailles de leurs geôliers) sur la solidarité du groupe.
Claivoyance dont beaucoup d'internés ont témoigné. C'est l'empathie et la solidarité qui sauvent ...
Jusqu'au moment où fracturer les garde-manger des Ouzbeks est la condition sine qua non pour se remettre du typhus à l'hôpital. À chaque étape, il faut faire preuve de discernement.
En temps de guerre, rejoindre les forces armées c'est d'abord sauver sa vie, s'en remettre à la puissance d'un corps militaire organisé pour quitter sa condition de réfugié à demi nu, de feuille d'automne ballotée au gré du vent. L'hiver appelle la formation en bataillon.
Moishe ne se coule dans la discipline militaire que pour mieux l'éluder, il n'échappe au sort de la chair à canon qu'au prix d'un jeu où il brave la mort les yeux dans les yeux.
L'uniforme ne protège plus, c'est une danse macabre que celle des éclaireurs qui franchissent l'Achéron et reviennent ou pas. Quel était le facteur chance ?
Probablement pas beaucoup plus élevé que les quelques heures de survie d'un soldat dans la bataille de Stalingrad.

L'après-guerre consista à nager entre deux eaux, en conférant au prestige de l'uniforme la protection dont les Juifs ont cruellement besoin dans cette période de prise de conscience tragique et de désespoir qu'il faut malgré tout appeler espoir. L'intelligence rusée est ici vitale, la connivence avec l'"Ami".
Comment se forger la lucidité nécessaire pour se sortir des bras de fer du bloc qu'était le monde soviétique, dont Moïshe est un produit de guerre, puis un cadre en temps de paix ? Les Soviétiques savaient parfaitement repérer les garçons doués pour en faire leurs cadres ou les envoyer au goulag. Selon leurs besoins.
Il suffit de s'attarder sur le regard de Moishe sur cette photo d'après-guerre. Il faudra l'amour d'une femme et les tendresses de deux petits pour l'adoucir, ce regard douloureux d'un homme qui n'a pu sauver ni sa mère ni ses frères, d'un guerrier malgré lui, comme un demi-million d'autres hommes et femmes (il ne faut pas les oublier) juifs enrôlés dans l'armée rouge, un demi-million qui auraient donné leur vie pour l'honneur de leur peuple et serrer encore une fois entre leur bras leurs bien-aimés anéantis.

Il n'y a qu'une dizaine d'années séparant la fin de la guerre de notre fuite de Lituanie. Imaginez le discernement qu'il lui aura fallu, avec maman, l'inflexible Rosa Portnoï, pour nous extraire du destin soviétique auquel nous étions promis. Et la détermination pour quitter la famille de maman, sa mère, ses soeurs rescapées. Il faut d'abord à ce courage un perspicacité quasiment visionnaire. En 1956, personne ne sort.
Yitskhok Niborski évoquait dans son introduction à l'Odyssée d'un voleur de pommes la curiosité de cet autodidacte, j'ajouterai que Moïshe adorait les oeuvres complètes pour mieux les dévorer
du début à la fin. Il aimait découvrir un auteur et cheminer longuement avec lui jusqu'à adopter son regard, sa perspective, sa psychologie. Goût de l'étude et intellection.
Papa observait tout le temps, parlait peu, ne bavardait jamais, mais aimait la discussion. Il émettait parfois des jugements peu charitables mais avait pour les êtres humains, les plus fragiles surtout, une immense empathie et sur les puissants un regard sans attendrissement excessif. Le monde, il le regardait sur une carte géo-politique. Héritage de l'Université marxiste-léniniste où il avait été coopté ...
Le dernier coup de génie aura consisté à enregistrer son livre environ quinze ans avant que quiconque ne réalise la valeur de ces quatre cassettes destinées aux lecteurs paresseux de demain ou aux gens dont les yeux sont fatigués. Moishe avait prévu de laisser son héritage sous différentes formes, histoire de couvrir les technologies du futur.
https://www.yiddishpourtous.com/l-odyssee-moyshe-rozenbaumas

lundi 9 octobre 2017

VINKL LITÈ Rhinocéros. Nozhorn.

L'excellente traduction du texte de Ionesco par Eli Rosen aurait justifié que j'écrive cette rubrique sous cet angle uniquede la langue et de la traduction. Le sujet de la pièce touche cependant une corde si sensible en ce temps d’effondrement social et politique que ce ne sont pas des idées relatives à la culture yiddish et à son développement qui sont venues nourrir ma réaction à ce spectacle. Le plaisir d’être assise à côté d’un jeune homme qui est le père de l’une des actrices, Macha Fogel, et le fait que la mère de Macha était mon élève de yiddish lorsque son père l’a rencontrée dans les murs de la bibliothèque Medem au début des années 80, et même le fait que j’étais à leur mariage et que Pinie ait élevé et fait grandir ses enfants dans un délicieux yiddish galitsyaner n’était pas une satisfaction assez grande pour me distraire de l’impression pesante produite par la pièce.


C’est normal, me direz-vous, si vous connaissez ce texte de Ionesco, son thème n’est pas spécialement léger, pas plus que le vacarme produit par des hordes de rhinocéros féroces prenant les commandes d’une cité en soulevant de leurs bruits de bottes (pardon, de sabots) des nuages, que dis-je, des nuées noires de poussière, provoquant autour de nous des ténèbres étouffantes, dans un décor minimaliste de trois chaises et une table faisant face à nos gradins à angle droit encadrant une scène quasiment inexistante.
Il me semble que le metteur en scène, Moshe Yassur, qui a davantage en commun avec Eugène Ionesco que leur Roumanie natale (c'est la vie qui est basurde, pas mon théâtre), a tiré de cet espace exigu toute l'ouverture qui pouvait donner sur un extérieur asphyxiant. Sa première mise en scène de Rhinocéros au Théâtre municipal de Haïfa, en 1962, avait eu un tel écho qu'elle a imprimé à l'hébreu un néologisme désignant ce que nous appelerions en français une mentalité de meute, "rhinocérosification", "rhinocerotsifikatsya".
Si l’on met de côté le fait que je suis extrêmement impressionnable au point d’avoir peur parfois même au théâtre – ne parlons pas du cinéma où la fiction pousse toujours de plus en plus loin l’effet de réel – la scène clé est celle où Jean (l’acteur Eli Rosen, qui est aussi traducteur, est-ce un hasard ?) se transforme de spasmes en convulsions, se transfigure en un rhinocéros, abritant sa demi-nudité sous une couverture où il tremble d’abord de fièvre puis subit toute une série de métamorphoses qui changent ce mentsh  à peu près policé, sous son costume clair et son menton bien rasé, mais dont nous avons déjà perçu les failles en une vilde khaye, une bête sauvage que nous avions senti gronder dans ses mâles accents et son intélorante attitude surblombant ses contemporains de son supposé savoir sur presque tout, son intransigeance et sa prétention à ne pas nourrir de préjugés …. contre les rhinocéros. À l’opposé de son ami Béranger, interprété par Luzer Twersky, une sorte de looser maladroit, sympathique et alcoolique qu’il regarde de haut et abreuve de ses conseils, qui s’efforce avec peine de s’évader des contorsions cérébrales de son ami Jean, de sa foncière malhonnêté intellectuelle, tout en essayant vainement de le protéger jusqu’au dernier instant du processus de soubresauts qui engendre son épaisse carapace. À ce moment-là du développement de l’intrigue, nous avons plus ou moins saisi les sources ou les implications de ce passage d’homme à rhinocéros, une sorte d’opportunité ou de malédiction qui touche les égoïstes, les arrogants, les hubriques, les admirateurs de la force. Une altération de la psyché qui affecte des caractères autoritaires, démagogues, dépourvus de véritable empathie.

Puis d’autres personnages sombrent, sont affectés, cèdent à la culture bientôt dominante des rhinocéros. Ceux – presque tous – qui préfèrent les voies de la conformité au risque de se lever pour faire entendre leur rébellion ou leur singularité finissent par rejoindre le troupeau, les pédants, les mesquins, les peureux, les bien-pensants. Des images qui n’évoquent pas que le passé. La question de la culture humaniste surgit avec régularité à travers le personnage du logicien, Botard, interprété par mon ami le journaliste et excellent yiddishiste Alec Leyzer Burko. Certains critiques de la pièce ont vu dans ce personnage le talmudiste coupant les cheveux en quatre, selon une vision de l'étude talmudique qui remonte aux Lumières, que j'avais discutée il y a longtemps et critiquée dans un article consacrée à Ernest Renan. Sa parole se perd dans des raisonnements alambiqués, des calculs byzantins, des syllogismes et pas mal d’âneries. L’intellect des professeurs Tournesol est desséché et semble ne plus rien avoir à opposer à la force brute, les humanités – peut-être comme les autorités académiques pendant la période nazie – ont dit leur dernier mot en déshumanisant les sciences humaines. Chez Ionesco, ce ne sont pas les boutiquiers et les petites gens qui offriront une résistance à la vague sauvage qui déferle, mais Beranger, l’être sur qui les conventions glissent faute de désirer ressembler à ses contemporains, lui qui est sujet au désespoir et au doute sur lui-même, lui qui frémit d’émotion pour son ami et avait échoué à comprendre les conventions de la société d’avant, avant que les rhinocéros ne la subjugue, lui qui ne suit même pas la horde par amour d'une blonde, Daisy ... désir (Malky Goldman). Car il est aussi question de séduction, de désir, de culpabilisation, de gagner au nouveau régime des mastodontes la dévotion des futurs serviteurs . Les grands chefs autoritaires ont toujours fait vibrer cette corde émotionnelle, appelant à la loyauté, s'évertuant à unir autour d’une image à la fois caressante et menaçante.
Avec une économie de moyen remarquable, Rhinocéros évoque les méthodes par lesquelles le facisme – et toute entreprise autoritaire qui entend bailloner la liberté individuelle – étend son emprise sur la société. Quand presque partout sur la planète les oppositions, les marginalités, les différences font face à une violente réaction politique, nationaliste ou religieuse, il est évident que les échos de cette pièce ne résonnent pas seulement dans le passé mais aujourd’hui même, dans nos vies de citoyens. Ainsi, ceux qui minimisent les dangers représentés par l’extrême-droite américaine (et pas seulement américaine) et son influence de plus en plus grande sur le pouvoir de la plus riche nation du monde ne le savent pas... Mais certains de leurs arguments rhétoriques ont été écrits par Ionesco et mis dans la bouche de ses personnages. Pourquoi ne pas s’allier avec eux ? Ils ne sont plus si dangereux. Après tout, il faut les connaître de l’intérieur pour mieux les comprendre, et la plus perverse peut-être, leur pouvoir donne raison à nos critiques … Le danger vient de l’autre côté, entend-on à présent, de cet autre groupe de Rhinocéros, là, encore plus agressif que celui-ci… Y a-t-il des raisons d’être moins désespérés parce qu’il y a deux groupes de rhinocéros qui s’affrontent ?
Eli Rozen et Luzer Twersky sont deux acteurs qui nous viennent du milieu hassidique. Leur yiddish, comme celui de plusieurs autres acteurs qui ont grandi dans cette langue – Malky Goldman (Daisy), Mira Kessler, Macha Fogel – est un véritable bonheur à entendre. Bien sûr à mon oreille litvak, cela ne va pas toujours de soi et il m’arrive même de manquer une réplique. Après avoir vu récemment le film Menashe, qui est tourné, entièrement en yiddish, à la façon d’un enquête anthropologique, par un réalisateur au cœur assez tendre pour le hassidisme, Joshua Z. Weinsteinj’ai lu avec une certaine émotion et quelque esprit de corps la note du traducteur, Eli Rosen (il porte tout de même la moitié de mon patronyme …). Citant l’échange évoqué plus haut : Tu ne voudrais tout de même pas être un rhinocéros toi-même, demande Beranger à Jean, qui lui rétorque : Pouquoi pas, je ne suis pas comme toi une victime des préjugés. L’auteur poursuit : « Pour quelqu’un qui a grandi dans le monde homogène et dogmatique du hassidisme, cet échange rappelle quelque chose. Le dogmatisme religieux, et en l’occurrence politique exige toujours une conformité irréfléchie de la part de ses adeptes, les agrégeant  en groupes blancs ou noirs, mais jamais ensemble. Quand ces dogmatiques sont accusés d’étroitesse d’esprit et de préjugés intellectuels, ils ont toujours recours à des jeux d’acrobatie mentale, retournant les arguments cul par-dessus tête et accusant celui qui questionne d’avoir des préjugés contre leur mode de vie. Toute tentative d’entamer un échange intellectuel avec eux rencontre l'oreille d'un sourd ... » Eli continue en évoquant ses efforts pour se dégager de ce monde en noir et blanc, et la façon dont sa traduction yiddish de Rhinocéros est forcément largement émaillée de langue religieuse et talmudique.
Lorsqu’en attendant la sortie de celle qui était pour nous l’actrice principale, Macha Fogel, je confiais à mon amie Pinie, à la sortie de la pièce, que cette figure d’homme seul contredisait peut-être une certaine réalité historique, celle des résistances, des solidarités, des organisations de lutte contre l’oppression, le racisme, l’injustice, il me répondit que lui cette figure de la solitude l’avait bouleversé, et je crois bien avoir perçu des larmes quelque part entre sa voix et ses yeux. C’est la force de l’art et du théâtre de nous confronter avec des figures du politique qui nous touchent au plus profond, dans les moindres recoins secrets de notre être, là où se négocie la fidélité à des traditions et le pouvoir d’un seul être humain à exercer son libre-arbitre, radicalement, dans sa vie personnelle et intime, comme dans sa présence à la société et au monde.


mercredi 12 juillet 2017

BASHEVIS MISUSING HIS MUSES

What can I say about this film The Muses of Bashevis Singer  as a translator? First that I have really appreciated the construction of the film by Asaf Galay, the film maker, who conducted his inquiry like an honest anthropological and psychological study of characters, in the style of some of Bashevis' stories. The film moved me and I discovered some of the underground streams that I was curious to see in full light to understand better the writer and the character. But we translators want to hear about translation, because translation is the ultimate transformation that is supposed to be fidel. And it happens that fidelity and betrayal has also been a long time historical reflection even before I wrote a presentation to the translation of my father Moishe Rozenbaumas' memoirs. 
Can I say that we translators are fundamentally Litvaks, persnickety and rationalists

If we have a hint of mysticism in us, we better hide it in the depth of one of our most secret sins, maybe a footnote. That a great literary figure can reduce a profession and a craft, a honest parnose, un métier, a skill, to an opportunist function is maybe not total surprise, but a blatant expression of a lack of loyalty to something, probably not to these women, and not to one woman in particular. Maybe to the translators union ? How much were they paid, Bashevis' translators? The question of loyalty is at the center of the film as it is at the center of Bashevis' character. He is the one who declares with much coquetry that he would like to ask god ... to rewrite one of the commandments, the one about adultery. He has a more modernist conception of human relationship and has put this conception in practice. I would as a commandment about the salary of the translator and forbid any natural or emotional reward. 
Desire is supposedly the fuel of everything. So - guided with this secret commandment to come - he did use his muses or he did misuse his muses. It is not very clear to me that they were (the so-called muses) a source of inspiration for him, or if his own power of seduction was a sort of matrix of his writing. What I know is that as compelling are his stories, and I have read some in Yiddish too, his vision of the Jewish people incorporates some sand into the salt and pepper that makes him such a fascinating writer. Some of the experts I spoke to (interview to come... for Radio yiddish pour tous ?) consider him as a genial imitator of the Russian literature that he knew very well. Of course, over the years, I have found myself among those who hold Hayim Grade, my Litvak miror, as the ultimate greatest author who would have deserve a price for his Yiddish writings. Nevertheless, der tayvl is much more charming than der tsadik oder der nozir (the ermite). The tayvl is sexy and he as more than one trick in his saddlebag. Enough to read his children stories as "Mazel & Shlimazel" to be convinced of this charm. 
But what I really learned was that I would not like to have a Bashevis kind of grand-father, the Magicien of Lublin type ... And it seems that I had one, including the first name Isaac, the piercing blue eyes and leaving a family behind him. 
The talent of IBS was undeniable, but its nature is not only literary. He understood early the mechanism of global fame and believed in his fate. 
The film hurts and it is a good sign, it moves something deeply. The women who translated, accompanied, reflected Bashevis' life and work are presented under a very fond light. They are clever, they are fun and spiritual, they are literary enthusiasts when not great experts. Sometimes they are experts and scholars. Bashevis' Hebrew translator who fascinated me absolutely refused to translate his work from the English supposed original and firmly chose to go from the Yiddish text. yesher koyekh.
If there was a literary Nobel Price (or Field medal as we are speaking of adultery) for translation, the fond, angry, loyal, attaching collective (more than 40 according to film author Asaf Galay) that worked to produce the literary oeuvre under the baton of the master would certainly deserve it.

jeudi 29 juin 2017

Hunger Artist


Yesterday I saw at the Connelly Theater the amazing performance of actor and puppeteer Jonathan Levin in an adaptation inspired by Franz Kafka's novel A Hunger Artist, dealing with the relationship of a strange kind of artist with the audience (1)

It's a long time that I was not so deeply impressed by the understanding of a great and enigmatic text, an essay in interpretation of an author whose oeuvre has become canonical. We will never end leafing through the secular Bible he left us with (French translation of Oeuvres Complètes, in Bibliothèque de la Pléiade, on bible paper).
Last time must go back to the staging of Bruno Shulz Republic of Dreams by Double Edge Theater, a few years ago at La Mama. No, last time goes back to the Yiddish translation by Shane Baker of Waiting Godot, that made the text of Beckett sound as written in and for this language. And the impressing performance of Rafael Goldwaser playing Lucky in a scene where I though he was going to expire his last breath in front of our eyes - as a Lecoq actor is trained to perish. The loneliness as human condition has never been so poignant. 
With the absurdity of auto-imposed ordeals and the obscure expectation of a manumission of mysterious nature, the Hunger Artist brought reminiscences of Beckett.
I couldn't help also remembering another Levin, Hanokh Levin, whose Sufferings of Job I saw in the Théâtre de l'Odéon in a staging by Laurent Brethome that made me doubt that I could stay until the end of the play as I am oversensitive and have a very colored imagination.
My imagination was also transported in the anachronistic and unknowable by Kafka future history of the destruction of the Jews, namely the fate of his three sisters Gabriele (“Ellie”) (1889-1944), Valerie (“Valli”) (1892- 1943) and Ottilie (“Ottila”) 1892 – 1943. The last documentation for Valli's presence was Lodzer ghetto in Poland in 1942, from where she must have been deported.
And I had to check that, but something about the three "butchers" that visit the Hunger Artist curiosity was bothering me ... Actually Kafka's father, Hermann Kafka (1852–1931), was the fourth child of Jakob Kafka, a shokhet or ritual slaughterer in Osek, a Czech village with a large Jewish population located near Strakonice in southern Bohemia. Starving, slaughtering, eating meat but not without the proper rituals by which you recognize as life is sacred. Who is more qualified than a butcher (a fortiori three butchers) to check if a hunger artist starves himself in a kosher way? What does this bloody branch of Franz Kafka's genealogical tree tells us about the material and spiritual condition of an artist?
Was starving here a spiritual exercise comparable to the fast familiar to almost all religions, was it a metaphor of auto-destruction in the midst of the illness that was devastating Kafka's body and life? A rebellion against the physical cage of the stupid and unsafe body in which Kafka never inhabited comfortably and with which he never made peace? A criticism of the feigned interest of humans for each other? The ultimate escapist story? Figures of ermitic seclusion, anchorites, ascetics, populate Oriental and Ancient world up to the British Middle Age. They also permeate in modern Yiddish literature as we can read in Der Nister's story "Der nozir un dos tsigele", (1922, "The Hermit and The Kid Goat"). This characters re-enter Judaism by the channel of Hassidism, as they surface in modernity through various heresies.
One of the most original contribution of Jonathan Levin, writer Josh Luxenberg and director Joshua William Gelb to the approach of Kafka's riddle, in the tradition of puppetry theatre, consists in the use of scale, in the images as well as with the sounds. Beginning with the minuscule that hardly stands out from the distance when you seat in the depth of the small theatre {"can you see the hat on the lady's head?"} to the projection of the gigantic feline of the Marry-go-round turning frantically on a back screen in the tumult of the funfair - a miniature toy on the turntable of an old record player. The play makes us feel as isolated, cut away, and as close as to cosmic dust as our dreams of perfection may seem vain and meaningless. Very delicate manipulations of objects, the de-multiplication of the poetical body and characters through the dusty wardrobes, teatro povero, physical theatre of Jerzy Grotowski, all these hours of slow motion exercises of Lecoq : "Tout bouge" (3).
Everything moves in the Danse macabre (did I hear notes of Camille Saint-Saëns piece while Jonathan Levin was moving out of his cage with large dancing steps?). As it moves in the dark when the artist undergoes its lightning transformations. The dust - for the one who are sensitive to its displacements - speaks of this unrest. Yes, "Dust" could be an alternative name for our dreams and ambition. Not to speak about how this macabre tale considers progress.

(1) The story "Ein Hungerkünstler" ("A Hunger Artist"), published in the periodical Die neue Rundschau in 1924, describes a victimized protagonist who experiences a decline in the appreciation of his strange craft of starving himself for extended periods. Kafka's last story, "Josefine, die Sängerin oder Das Volk der Mäuse" ("Josephine the Singer, or the Mouse Folk"), also deals with the relationship between an artist and his audience.
(2) http://lementeurvolontaire.com/…/06/Job-Dossier-artistique.…https://www.youtube.com/watch?v=E9mRQrFBvlk
(3) Tout bouge.
Tout évolue, progresse.
Tout se ricochette et se réverbère.
D’un point à un autre, pas de ligne droite.
D’un port à un port, un voyage.
Tout bouge, moi aussi!
Le bonheur et le malheur, mais le heurt aussi.
Un point indécis, flou, confus, se dessine,
Point de convergences,
Tentation d’un point fixe,
Dans un calme de toutes les passions.
Point d’appui et point d’arrivée,
Dans ce qui n’a ni commencement ni fin.
Le nommer,
Le rendre vivant,
Lui donner l’autorité
Pour mieux comprendre ce qui bouge,
Pour mieux comprendre le Mouvement
Jacques Lecoq 1999

dimanche 18 juin 2017

Moïshe Rozenbaumas (1er mai 1922-1er novembre 2016), à peine rendu aux vêtements civils, les médailles de l'éclaireur affleurent en bas de la photographie. 
Un regard somme toute mélancolique et grave. Les années où il a fallu nager entre deux eaux : rescapé, combattant, héros - malgré lui - du régime soviétique et future victime toute désignée du stalinisme. 
Je mesure aujourd'hui le privilège d'être née de deux parents rescapés et d'un père dont l'héroïsme, la bonté, la tendresse m'ont accompagnée si loin dans ma vie d'adulte. Rien n'effacera jamais son regard bienveillant sur la petite fille futée et l'extra-terrestre raisonneuse que j'étais, sa compréhension et son respect de la personnalité de chacun, et son humour désopilant et incisif. Jjusqu'à la fin de sa vie et de sa maladie qui faisait fuir les mots et les constructions, la parole ad hoc lui venait comme un éclair ... "charlatan(s)", répéta-t-il à la volée lors d'une certaine réunion médicale le concernant, peu impressionné par l'aéropage de médecin, infirmière en chef et psychologue siégeant dans sa chambre. Pourtant il était d'une gentillesse désarmante avec tous ceux qui lui apportaient des soins, affectueux, aimant, généreux ... "Tu as faim ? Tu veux t'allonger ? Tu es fatiguée ? ". Les femmes avient toute son estime, son attention et son respect. Elles le lui rendaient bien. Je ne crois pas avoir connu d'autres hommes d'un âge aussi avancé qui provoquait encore un tel effet. 
Je crois avoir eu l'honneur et le bonheur d'avoir été son amie, son interlocuteur et parfois sa confidente durant les années d'écriture de son livre. Depuis ma plus tendre enfance, ma parole avait du poids, elle était écoutée, discutée et parfois contredite avec le sérieux le plus profond. Son amour pour nous était absolu, indiscutable et toute sa vie sa famille a été son plus cher trésor. "Ne devenez jamais riche", nous disait-il avec maintes bonnes raisons. Papa, nous avons exaucé ton voeu à la lettre. Nous continuons des vies laborieuses d'intellectuels, de commerçants, d'artistes, sans jamais oublier notre lien profond avec la pauvreté, avec le manque et avec tous ceux qui vivent dans le besoin.
Tu me manques papa. Je n'ai pas de rendez-vous plus important que retrouver ta voix dans l'enregitrement que tu as fait de tes mémoires, retransmis à présent sur la merveilleuse radio Yiddish Pour Tous, même si je possède et préserve ces cassettes et que ta petite-fille Éléonore les a tendrement et patiemment digitalisées. 

lundi 1 mai 2017

UNE TRADUCTION PARTICULIÈRE

Note de la traductrice
par Isabelle Rozenbaumas




Entre 1994 et 1997 mon père a rédigé ses mémoires en yiddish. L’idée que je les traduirais en français nous semblait naturelle, comme il nous semblait aller de soi que cette tâche m’incombait à moi plutôt qu’à tout autre traducteur. C’est au cours d’une interruption de mon premier élan que mon père, las d’attendre, entama lui-même la traduction de son propre livre. Dans le français qui est le sien et n’appartient à personne d’autre.
Le manuscrit yiddish avait été rédigé au crayon noir, quasiment sans aucune ponctuation, ce qui veut dire dans une langue qui ne comporte pas de majuscule, sans indication de début et de fin de phrases, dans une langue riche et vivante qui s’était raffinée au fur et à mesure de la plongée dans l’écriture. Formellement, le manuscrit français présentait des points communs, toujours sur des feuilles d’écolier perforées format 21/29 à grands carreaux, il était à présent écrit au stylo. Toutefois, là où le yiddish coulait de source tout en empruntant parfois son vocabulaire technique, politique, économique ou philosophique au russe ou aux internationalismes, le français très riche de mon père dans ces domaines où il est un lecteur surinformé et avisé, pêchait à la ligne dans le Bescherelle des conjugaisons surréalistes, inventait des syntaxes improbables qui avançaient comme des jetées dans l’océan infini de la langue, et surtout tirait à hue et à dia sur les expressions idiomatiques et les tournures, tantôt calquant celles du yiddish, tantôt employant celles du français dans un sens déconcertant. Mais plus que tout, mon père a découvert et adoré les mots. Rien ne lui plaisait davantage que de découvrir au tournant du dictionnaire deux synonymes qu’il désirait avec la même convoitise pour la même phrase. Une orgie d’adverbes, des adjectifs apposés, des jeux de mots intraduits autant qu’intraduisibles, des adresses au lecteur incrédule, des métaphores transposées, des phrases qui paraissaient un peu étranges en français et restaient opaques tant qu’on ne les avait pas retraduites mentalement en yiddish. De cette langue que j’appelle “la langue de mon père”, de son style calqué sur le monologue dialogué du yiddish, je me suis efforcé de conserver la vivacité, la couleur, le goût, et parfois davantage. Surtout, j’ai résisté à la tentation de lisser la langue pour parvenir à un style parfaitement naturel. J’ai voulu laisser voir l’empreinte de la pensée en yiddish et laisser entendre l’accent yiddish en français, la langue d’arrivée étant en l’occurrence la langue de notre arrivée en France.
Désormais, il n’était plus question de traduction, mais de réécriture. Et à travers la ré-écriture, l’accusation de trahison planait plus menaçante encore qu’envers le traducteur. Malheureusement ou heureusement, ce texte résistait à ma compréhension davantage que l’original yiddish auquel je ne pouvais plus revenir parce qu’il avait été par endroit développé, à d’autres amendé, ailleurs encore contracté. Face à ce récit, à cette histoire que je pensais connaître par coeur et que mon père avait à présent crypté à mon intention, son concours s’imposait dans la démarche d’interprétation sans laquelle le texte se refusait. Tous les jeudis, pendant un an et demi, papa a monté mes cinq étages, s’est assis auprès de moi avec son manuscrit entre les mains, et a fait l’exégèse de son propre texte. Nous avons beaucoup ri et j’ai un peu pleuré. S’appelant Moishe, me disait-il pour m’amuser, il était bien normal qu’il rédigeât la Bible… afin que je la commente. La religion est au centre de nos disputes où j’endosse, bonne fille, le rôle de la mécréante. Dans un bon dialogue entre Juifs, l’un des deux doit bien le tenir, ce rôle. Dans ce climat de parole et d’écriture, j’ai réalisé le voyage le plus lointain qu’il m’a été donné de faire, le plus étrange, le plus exotique, un voyage au coeur de mon père. Je pressais le pas dans les ruelles de son shtetl Telz, enfant turbulent, jeune prolétaire rebelle en mal d’un père. Je fuyais à ses côtés sur les routes et les fleuves d’Asie. Je chevauchais sur les sentiers enneigés des forêts de Russie. Ulysse lucide et habile, j’ai vu cent fois la mort en face, et retourne dans une Ithaque dévastée, engloutie.
À la même époque, je réalisais un film qui se nourrissait de ce compagnonnage avec mon père, commencé dès les premières bribes de récits entendues et continué dans notre travail de recréation. Un film sur le yiddish. Je nouais mon histoire avec la sienne en retournant en Lituanie. Les récits de mes parents avaient depuis longtemps inscrit en moi la géographie de Telz. Partout, je voyais devant mes yeux le monde vivant des morts au milieu du monde mort des vivants. À Telz, dans la campagne environnante, autour de nos maisons, de nos synagogues, de nos boucheries, sur les lieux des massacres de masse, les Juifs forment un peuple muet qui continue d’habiter les lieux qu’ils ont empli pendant des siècles de leur activité et de leur ferveur, de leurs discussions et de leurs querelles, un peuple d’étudiants sans papillotes et de travailleurs, de jeunes filles polyglottes et de femmes observantes. Ma grand-mère Mere-Haye, qui n’a pas vécu assez pour devenir grand-mère, est parmi eux. Le massacre des hommes et des jeunes gens de Telz où trois de ses fils furent abattus eut lieu dans les premiers jours de l’occupation allemande. Elle avait environ quarante-cinq ans lorsque les collaborateurs lituaniens des nazis l’ont assassinée, au milieu des tourments innommables qu’ils infligèrent aux femmes et à leurs plus jeunes enfants, quelques semaines plus tard. Elle savait probablement la mort de ses deux plus jeunes fils. Qu’a-t-elle su du sort de son aîné ? Ce qu’elle savait, c’était que Moïshé avait pu fuir vers l’Est, qu’il était un jeune gars débrouillard, qu’il n’avait pas froid aux yeux et que lui, avec l’aide de Dieu, il vivrait. Cette femme remarquable qui parlait le lituanien avec ses voisins, lisait l’allemand, priait en hébreu et vivait en yiddish, a laissé sur mon père son empreinte de tolérance et de dignité, d’humanisme profond et fervent. Drapée de son mystère, elle n’a jamais laissé deviner sa blessure. Elle avait pourtant tout connu de la passion, du chagrin et de l’affliction. Sur les lieux où les tortionnaires avaient parqué les femmes et les enfants de Telz avant de les abattre nuit après nuit, elle a projeté sur mon existence un faisceau d’amour et d’espoir.

Sous les étoiles blanches des cieux de Lituanie, j’ai compris qu’elle avait toujours accompagné mes pas, qu’elle respirait dans mon souffle et que j’avais toujours été partout où elle s’était trouvée. Mon travail d’écriture avec mon père, comme mes propres réalisations, sont un hommage à sa personne, à sa mémoire et à son Dieu, sur lequel mon père, moi-même et toute notre famille avons toujours tant à dire et à disputer.

samedi 22 avril 2017

GOTENYU IN HIML

VINKL LITÈ. Sholem-aleykhem de Yerushalayim. Hier pour la première fois depuis longtemps, je n'ai pas gebentsht likht ... Faut-il que je sois en Eretz. La dialectique du (de la) Juif/ve entre fidélité et trahison n'est-elle pas au coeur de la yiddishkayt ? Tradition et modernité, religion et hérésie, observance et antinomisme, 613 commandements et autant d'interprétations. Nous sommes tous des Juifs perplexes, nous sommes tous des Juifs dialoguant avec un gotenyou in himl (le yiddish me dispense et des majuscules et des points de suspension) à la fois absent, sourd et aveugle aux convulsions de ce pauvre monde qui n'en peut plus d'adresser sa prière muette, de battre sa coulpe, de se prosterner et de se rouler sur la terre de notre malheureuse planète, d'implorer un peu de pitié pour son humanité suppliciée, de renouveler plusieurs fois par an à date fixe ses voeux de paix, de santé et de sérénité. Mais rien n'y fait, si le tatelè céleste écoute et entend, grande doit être sa détresse.
Plutôt que de rentrer dans les rangs d'une ferveur auto-proclamée labellisée par le rabbinat, les autorités apposant leur shtempl et les diverses sectes sévissant sur le terrain de l'orthodoxie, c'est une ligne directe que j'emprunte pour étancher ma faim et ma soif. Allo, gotenyou in himl. Es brent.
Baladins et poètes, interprètes et saltimbanques, vous êtes aussi nos rabbins et nos maîtres sur ce sentier rocailleux et escarpé de la spiritualité. Vos thèmes les plus prosaïques se transforment en prières et vos musiques les plus populaires sont inspirées.

Cette magnifique interprétation par Алина Ивах du maintenant classique "Sapozhkelekh" illumine ainsi mon shabès. Il n'est pas donné à tous d'instiller une si profonde spiritualité dans une chanson d'amour.
La chanson yiddish se distingue par cet encens particulier qu'elle projette vers le ciel. Point n'est besoin de sacrifice et ses fumets, point n'est besoin de brûler de quoi que ce soit - sauf d'amour, point n'est besoin d'envoyer de la fumée artificielle comme dans les mariages d'aujourd'hui.
Beautiful rendition from Алина Ивах that enlightens my shabbes. Would love to meet this interpret in the future.