mercredi 1 juin 2016

Rose, Rosa, Rože, Rosum, Reyzl, Reyzele, Reyzl-Hindl, Shoshana


 
Un nom en traduction. Des dates mobiles d'anniversaires de naissance et de mort. Il y a maintenant bientôt trois ans. Des souvenirs impartageables, parfois indicibles. Que reste-t-il quand tout ce qui est parti est mouvant ?

Une présence vigilante à mes côtés. Comment aurais-je pu imaginer de son vivant qu'elle partirait puis serait à jamais aussi présente. Omniprésente. Plus moyen de se rebeller.

Reyzl, dans sa version complète Reyzl-Hindl, insistait parfois sur le fait que son nom était la traduction yiddish du prénom hébreu Shoshana (Rose). Davantage pour signifier combien elle était fière de connaître l'hébreu que pour livrer le secret de sa nomination. N'avons-nous pas tous un nom en traduction?

À commencer avec mon étrange Isabelle sorti de "Barukh", puis Bella, sans doute Beyle.

L'accès à l'école avait été pour elle un rêve et un idéal d'accession à cette culture, à ce savoir qui constituait la valeur suprême à la fois du judaïsme (lituanien entre autres) et de la modernité de l'époque de sa jeunesse.

Elle désirait tant, me disait-elle, étudier avec le directeur de son école primaire, également directeur du lycée de jeune fille, le Dr. Rafael Holtsberg-Etsyon qui quitte la Lituanie pour Erets-Israel, alors appelée Palestine, en 1933, l'année même où, à l'âge de douze ans, Rose finit par entrer au Gymnasium Yavne de Telz.

Pour nous, pour moi, elle était la référence ultime de toute interrogation sur la religion, sur la loi. Avec le recul et une meilleure vision de ce qu'à été son éducation, du sérieux et de la rigueur de l'enseignement dans son lycée, je me rends compte "à tel point" elle avait conscience de la solidité de ses connaissances et était fort agacée de recevoir des leçons. Elle reconnaissait immédiatement le savoir là où elle le rencontrait, religieux ou pas, et le respectait.
Le nom de Rose figure sur un document qui m'a été remis au Musée Alka à Telsiai, paraphé (sans doute) de sa main et orthographié R. Partnoaite. Il apparaît à nouveau sur des documents (carnets de la classe 1935/1936; klases N 2) du Gymnasium Yavne à Telz (Telsiai, Lituanie) sous sa version lituanienne Portnojūte Rože.

Comment ne pas s'imaginer que le caractère et les aspirations d'une personne ne subissent pas quelques variations au fil de la vie et au fil des noms qu'elle se donne ou qui lui sont donnés. 
Pour Moishe, elle était parfois Rose, parfois Rosa, mais le plus souvent Reyzele, le chêne autour duquel il était noué et vice et versa. Pour notre famille, elle a été et restera la source de notre rapport indestructible et tourmenté à nos traditions, à un judaïsme à la fois sobre, voire dépouillé, et sophistiqué, spontané et réflexif. Et pour moi, elle est depuis bien des années, confusément d'abord, puis au fil de l'exploration, dans une compréhension grandissante, l'inspiration de mes projets et recherches

L'être le plus proche de vous, celui qui vous a donné la vie, reste toujours une énigme, une flamme mystérieuse. En allumant les bougies, le shabbath, à pas d'heure - mais je déteste être loin de chez moi sans pouvoir les allumer - c'est son visage que je vois, sa gravité. Je me trouve instantanément au sein du hallo qu'elle a créé dans le cosmos, et qui accueille ma propre flammèche vacillante. L'étincelle ne s'éteint pas et son éclat reste vivant.

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