samedi 27 février 2016

CALAIS, PEREC, RINGELBLUM



 Mon amie, l'artiste Anne Gourouben, magnifique dessinatrice et humaniste militante tente de répondre à la question que ses amis lui posent. Pourquoi aller et retourner à Calais : ""À ceux qui se demandent pourquoi je suis venue à Calais, ce passage du texte de Georges Perec qui m'accompagne depuis tant d'années. Que tant d'hommes femmes et enfants soient bloqués ici dans une attente indéterminée m'est insupportable. ( Comme des millions de personnes mes arrières grand-parents maternel et le frère de mon grand-père, venus de Zyrardow, Pologne, passèrent par Ellis Island après la première guerre mondiale et s'installèrent à Manhattan.) "Ellis Island" 1980/95, P.O.L."" 

 Pour moi, la démarche d'Anne n'est pas questionnable, au sens où son témoignage, ses dessins, sa présence auprès des réfugiés, sont à eux-mêmes une réponse. La mémoire et la fidélité à une histoire fondent chez elle cet humanisme en actes. Pour autant, je désirais lui écrire ce que la confusion entre des contextes historiques distincts m'inspiraient : ""Cela permet de comprendre ta démarche un peu mieux, Anne. À ceci près que Georges Perec s'est rendu à Ellis Island longtemps après sa fermeture dans une quête à la fois documentaire et poétique consistant à se mettre dans les pas des générations précédentes, tout comme il descendait et montait la rue Vilin en se remémorant chaque numéro, chaque échope. Toi tu es dans le vif, comme si tu désirais revivre quelque chose que tu n'as pas vécu. Mais avec toi, ils sont là pour nous, plus réels et plus humains qu'une masse indistincte de réfugiés. Ils ne sont cependant pas menacés du sort subi par ceux qui n'avaient pas quitté Zyrardow. Tout du moins plus là où ils sont. J'hésite tous les jours à recopier quelques lignes de ma traduction de Ringelblum à qui les nouvelles parviennent dans le ghetto, tout au long de 1941, du sort des populations juives dans les villes et villages de Pologne. Déjà, les cadavres des enfants et des adultes morts de faim envahissent les rues du ghetto dès le mois de mai. En juin la situation de délabrement de ceux qui sont emprisonnés dans le ghetto est dantesque. Les trafiquants et certains employés d'officines de la collaboration exercent jusque sur les mendiants chantage et extortion. Les gens vont en lambeaux et arrachent un morceau de pain dans les rues. Les premières informations sur les massacres de masse à l'Est (chez moi en Lituanie où les miens ont été exterminés) n'arrivent que vers octobre ou novembre 1941. Personne ne comprend ce qui se passe et la folie de l'espoir fait que la grande masse des gens attendent dans le ghetto la victoire rapide des Alliés qui seule peut les sauver de la mort par famine. Les rumeurs les plus folles accréditent ces attentes. Nous savons la succession des événements, ils ne le savaient pas. Ce texte de Perec, l'évocation de Zyrardow, c'est cela qu'il réveille en moi aujourd'hui et la situation tragique de Calais relève de l'inhumanité mais s'inscrit dans un contexte historique tout autre. ""

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire