Comment Esther devint reine et comment Rose garda son secret
J’ai habituellement beaucoup à dire – trop diront certains – à
l’occasion des anniversaires de mes parents. Mais en méditant ce
Pourim à la signification de cette fête, et bien je me retrouve non pas muette, mais avec une montagne de
questions et d’idées qui prendraient beaucoup de temps à être
déroulées comme un collier de Shnirele perele.
Purim occupe une étrange place dans le calendrier juif où elle
semble émerger d’une autre civilisation (de plusieurs autres en
fait, la perse et la grecque) et converger avec tous les carnavals
de la planète. Si on ne conférait pas à Purim des sens allégoriques,
mystiques ou même ésotériques, les anniversaires qui dans notre
famille s’attachent à Taanit Ester pour Mic et Shushan Purim pour
maman, relèveraient du folklore.
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Rose debout à côté de son père Baruch Portnoi. |
Pour les origines de la Megilat Esther, l’article de Wiki dit à
peu près tout ce qu'il faut savoir. Une origine qui peut remonter au
sillage de la destruction du Premier Temple et la première
déportation des Juifs à Babylone, mais peut aussi être aussi plus
récente et dater de la période hellénistique (même période que le
texte de Daniel), mais ne peut pas être postérieure à la première
traduction grecque qui date d’environ -70.
Le roi pourrait être Xerxes Ier ou Ataxerxes, mais dans un cas
ou dans l’autre, les sources perses ne concordent ni avec les
événements ni avec les coutumes politiques ou même matrimoniales
décrites dans le rouleau d’Esther. Nous sommes donc assez clairement
devant un morceau de fiction, peut-être même l’ancêtre de la
nouvelle ou du court roman, styles littéraires qui devaient bientôt
se développer dans l’Egypte ptolémaïque à l’époque hellénistique.
Dans ces conditions, la probabilité d’un roman à clé et donc
d’une intention mystique et ésotérique du texte se consolide. Il est
tentant, pour moi qui les ai à une époque étudiés, de faire des
parallèles avec les récits qui associent Proserpine, la fille de
Déméter, à Hadès (Pluton). Dans la mythologie
grecque, Perséphone (en grec ancien Περσεφόνη / Persephónê,
chez Homère et Pamphos d'Athènes Περσεφόνεια / Persephóneia) est une
des principales divinités chthoniennes, fille de Zeus et
de Déméter et aussi épouse d'Hadès. Elle est d'abord connue sous le
simple nom de Coré (Κόρη / Kórê, « la jeune fille »), par opposition
à Déméter, « la mère » (ἡ Μήτηρ / hê Mếtêr). Déesse du monde
souterrain (les Enfers), elle est également associée au retour de la
végétation lors du printemps, car chaque année elle revient six mois
sur Terre puis six mois dans le royaume souterrain avec Hadès,
notamment dans les mystères d'Éleusis. On remarquera le thème du
changement de nom, Coré – tiens une jeune fille (Hadassa en Esther),
le cycle des saisons et la coïncidence de ce mois d’Adar avec les
profondeurs de l’hiver qui précède de peu la renaissance du
printemps. Et enfin un culte mystique de Perséphone et de sa mère
Déméter à Éleusis (c’était un peu Lourdes pour les Grecs anciens).
Comme vous le savez… Je ne suis pas rabbin, mais depuis des
années, je me suis exercée à scruter des images, des photos de
jeunes filles, et ce qui frappe bien souvent sur ces photographies,
celles notamment prises avant la guerre où la coutume était de
dignifier la posture par une certaine gravité, c’est un air
mystérieux qui plane sur ces beaux visages. Peu de photographies
modernes montrent des jeunes filles qui présentent ces visages de
princesses au seuil de leur entrée dans le monde, voire de déesses.
Photos de classe ou portraits individuels, les photos de cette
époque incarnent au mieux ce caractère caché de l’histoire et ici,
de notre histoire.
Il me semble que maman, dont nous avons la chance d’avoir des
photographies depuis l’âge de dix ans – ce n est pas donné à tout le
monde – ne s’est jamais départie de cet air de gravité énigmatique.
Sur toute les photos que nous avons d'elle, cette expression de très
légère absence, tel un voile, est palpable. Elle est là, mais elle
est aussi dans un ailleurs qui nous est inaccessible. Ses traits
qu'elle tient davantage de son père (avec une forte ressemblance
avec son frère) changent peu au long de sa vie, ses coiffures bien
sûr au fil des modes, son port de tête pas du tout, et son visage
traverse le temps sans grande altération de son expression et de son
être au monde. Comme toute femme qui a traversé bien des épreuves et
vu des choses qu’elle aurait préféré ignorer, comme toute personne
s’étant plusieurs fois arrachée à son ancrage pour sauver sa vie, sa
famille, sa liberté, elle portait en elle bien des secrets. Sa plus
grande victoire de Suse a été de nous préserver de ses pires
cauchemars en laissant planer le mystère des ombres qui la
hantaient. Rose garde son énigme et avec le temps, celle-ci
s'épaissit forcément, quand bien même le monde d'où elle vient nous
est mieux connu aujourd'hui qu'hier.
PS: Mon histoire alternative de Shushan Purim : C'est un roi un peu
primaire mais qui a un grand sens politique qui fait d'Esther une
reine. Attendez. Il ne va pas jusqu'à prendre la défense des Juifs
de son royaume, le souverain, non, non, c'est un souverain qui
veille à ne pas perdre sa base électorale. Au contraire, il met tout
le monde à égalité en fournissant à TOUS – même les profs et les
nourrissons – la possibilité de se défendre (les fabricants d'armes
se frottent la bedaine). Il permet juste aux Juifs de se défendre le
jour où il a été planifié de les assaillir... Ce qui permet
d'admirer les qualités militaires des Juifs, après avoir été
émerveillés par les qualités morales, spirituelles et érotiques de
leurs femmes, qui sont toutes des reines Esther en puissance. Mais
allez savoir si des femmes armées ne leur mettaient pas la pâté à
Suse aux voyous de Aman .
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