Je ne saurais dire combien j'ai aimé écrire en avril 2013 cette
note liminaire apparemment anodine où les détails obsessionnels
le disputent aux références cachées. M'accompagnaient alors un dialogue sur le caractère mystique de la discussion entre Scholem et
Benjamin, mes années passées au YIVO de New York auprès de Hershl Paul Glasser, alors à la tête du centre Max Weinreich, co-éditeur du Comprehensive English-Yiddish Dictionary, les mânes de mes propres origines lituaniennes, ma ville natale de Vilna où j'ai passé mes plus tendres années.
Se dessinaient aussi toujours avec plus de précision les contours d'une certaine déchirure qui allait se préciser au fil des années, et se couvrir du petit filet d'or des restaurations de céramiques japonaises : fille de l'école scientifique de Vilna ou de l'école rabbinique éclairée de Telz ? Dans la note qui suit, je suis nettement la fille de mon maître Pierre Vidal Naquet ... Si vous n'avez pas l'opportunité de rédiger une page avec une dizaine de notes de bas de page qui en entravent la lecture, saisissez la moindre occasion d'un petit texte qui ressemble à une douzaine de notes.
Note préliminaire de la traductrice
Ce livre a été traduit à partir de deux originaux, le premier en
yiddish ayant précédé de peu celui en anglais.
Le
texte en yiddish publié dans les YIVO
bleter du Yiddish Scientific Institute
– YIVO comportait déjà tout l'appareil critique avec ses 476
notes de bas de pages et la reproduction de plus de quarante
fac-similés. L’ensemble du texte paru en deux livraisons au
printemps et à l’été 1946 est à présent accessible en ligne sur ce site, aux pages 6 à 166 et 220 à 323, correspondant aux
pages 1 à 160 et 209 à 312 de l’édition papier en yiddish.
Les
archives du YIVO conservent une brochure qui montre l’importance
cruciale que Max Weinreich accordait à la collecte de matériaux
émanant de l’Allemagne nazie pour la connaissance approfondie de
l’histoire juive. Dans le fonds Weinreich conservé au YIVO, de
nombreuses notes bibliographiques manuscrites agraphées aux cahiers
détachés de la publication de 1946 montrent que l’auteur a
continué de rassembler de la documentation et de mettre à jour la
bibliographie du sujet après la publication du livre. Un facicule
est cependant clairement à l’origine de l’appareil critique que
l’on trouvera en bas de pages. Il s’agit de 40 pages publiées
par le Yiddish Scientific Institute – dans la série « organizatsye
fun der yiddishe vissenshaft »
(« organisation de la science du
judaïsme »), numéro 34, 1945 – sous le titre Deziderata
fun nazi-literatur vegn yidn, suivi de
cette mention ajoutée en travers de la page :
“Helft farzorgn di dozike bikher far
visenshaftlekhe forshung” ; Desiderata
of Nazi Literature on the Jews. «
Help procure these books for scientific
research » ; c’est-à-dire : aidez-nous à nous
procurer cette littérature nazie pour faire avancer la recherche
historique. La page de présentation est datée du 18 septembre 1945,
soit quelques mois avant la parution de Hitlers
professorn.
Aux notes de bas de pages ont été ajoutés dans l'édition
anglo-saxonne deux index, celui des personnes et des institutions,
puis celui des périodiques, des collections et des maisons d’édition
qui figurent également dans une forme moins développée dans la
brochure de 1945.
La plus grande partie de la bibliographie utilisée par Max Weinreich
étant en allemand, les titres d’ouvrages, les mentions de
collections et les archives à partir desquelles les sources sont
citées ont pour la plupart du temps été laissées en allemand, en
conservant les caractères romains pour tout ce qui relève du nom de
l’auteur ou de la source (la désignation de l’archive par
exemple), les titres de collections ou de séries, les titres
d’articles entre guillemets. Les italiques, comme dans les éditions
en yiddish et en anglais supervisées par Max Weinreich, ont été
exclusivement réservées aux titres. Dans le cas d’un choix
contraire, les notes de bas de page eussent été presque totalement
imprimées en italique. De même, nous n’avons pas toujours cherché
à unifier certains choix typographiques des noms de lieux. La
logique historique et géographique de l’auteur, sa connaissance
presque tatillone des graphies et des langues, au gré du mouvement
des frontières, des inventions géo-politiques des nazis et de leurs
lubies raciales nous ont semblé devoir être respectées tant est
précis son savoir dans ces domaines. Toute intervention eût été
présomptueuse.
Si la
traductrice a parfois ajouté des notes précédées d’une
astérisque, c’est qu’il lui est arrivé de rencontrer elle-même
une difficulté de compréhension ou un doute. Il lui a donc paru
nécessaire d’éclaircir le texte ou le contexte dans ce cas
précis. De même, quelques notes ont été rédigées lorsque les
deux versions divergent de telle manière que l’une ou l’autre
apporte un éclairage supplémentaire sur le sens du propos ou sur la
vision de l’auteur, voire sur ses sentiments. Dans l’ensemble, le
texte yiddish est marqué par l’expression d’une ironie amère et
douloureuse qui ne s’entend pas toujours dans l’anglais. Dans son
étude des légitimations académiques du nazisme, l’auteur fait
preuve le plus souvent de ce que Walter Laqueur a nommé dans son
dernier livre sur l’antisémitisme d’un “détachement
clinique”. Mais il lui arrive, surtout en yiddish, de s’éloigner
d’un énoncé distancé pour laisser affleurer sa répugnance
envers la perversion d’intellectuels qui détournent leur
discipline afin de prôner une idéologie meurtrière, et sa profonde
empathie à l’égard de son peuple. Immense linguiste, Weinreich
maîtrisait sans doute déjà parfaitement l’anglais au moment où
il a réalisé ou supervisé la traduction de ce texte. Il avait
étudié et enseigné aux États-Unis dans les années 1930 et avait
dû s’y réfugier en 1939, au moment où les Allemands déclenchait
la guerre. Mais il est certain que sa pensée et ses sentiments,
au-delà de la mise en forme du résultat de ce monumental travail de
recherche et de synthèse, trouvaient une expression plus naturelle
et plus idiomatique en yiddish. Le français de cette traduction se
devait d’être attentif à cette légère différence de ton, et de
faire entendre la voix du yiddish qui venait d’être rayé de la
carte d’Europe de l’Est et auquel Max Weinreich consacrera le
reste de sa vie. Par ailleurs, une lecture minutieuse fait apparaître
qu’au contraire, des précisions ont été apportées lors de la
traduction vers l’anglais, celles-ci devant bien sûr être
maintenues.
Au
total, la traduction de ce livre fait intervenir quatre langues. Dans
la plupart des cas, les passages traduits de l’allemand ont été
revus à partir des extraits originaux, notamment pour tous les
extraits reproduits en fac-similé à la fin du texte. Le long
document reproduit en pages 269-271,
a été traduit de l’allemand par Gérard
Marino.
Il va sans dire que l’on n’a pas cherché à améliorer le style
abscons de la pseudo-science allemande dans les citations. Il était
cependant nécessaire de traduire au mieux les idées délirantes et
perverses des auteurs cités par Max Weinreich afin de les restituer
à leur propre logique comme de rendre compréhensible la
démonstration de l’auteur.
La
traductrice a bénéficié des conseils d’Olivier
Mannoni sur divers aspects, notamment pour les abbréviations de
titres universitaires allemands, qu’il en soit remercié ici. Ma
reconnaissance envers Hershl Paul Glasser, directeur du Max Weinreich
Center au YIVO qui a fraternellement partagé son savoir et sa
bibliothèque, demanderait à s’exprimer en yiddish, a
hartsikn dank. Dans la plupart des cas,
les mentions abbrégées demeurées opaques et les références
d’archives qui semblaient énigmatiques ont été laissées telles
quelles, respectant la minutie avec laquelle Max Weinreich a précisé
la provenance et la référence de ses sources.
Et puisqu'il faut bien montrer la couverture du livre publié par Les Belles Lettres, Paris, 2013, la voici le lien avec avec ce très grand éditeur.
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