mardi 7 février 2017

Note préliminaire à ma traduction du yiddish de Hitler et les professeurs de Max Weinreich



Je ne saurais dire combien j'ai aimé écrire en avril 2013 cette note liminaire apparemment anodine où les détails obsessionnels le disputent aux références cachées. M'accompagnaient alors un dialogue sur le caractère mystique de la discussion entre Scholem et Benjamin, mes années passées au YIVO de New York auprès de Hershl Paul Glasser, alors à la tête  du centre Max Weinreich, co-éditeur du Comprehensive English-Yiddish Dictionary, les mânes de mes propres origines lituaniennes, ma ville natale de Vilna où j'ai passé mes plus tendres années. 
Se dessinaient aussi toujours avec plus de précision les contours d'une certaine déchirure qui allait se préciser au fil des années, et se couvrir du petit filet d'or des restaurations de céramiques japonaises  : fille de l'école scientifique de Vilna ou de l'école rabbinique éclairée de Telz ? Dans la note qui suit, je suis nettement la fille de mon maître Pierre Vidal Naquet ... Si vous n'avez pas l'opportunité de rédiger une page avec une dizaine de notes de bas de page qui en entravent la lecture, saisissez la moindre occasion d'un petit texte qui ressemble à une douzaine de notes.




 Note préliminaire de la traductrice

Ce livre a été traduit à partir de deux originaux, le premier en yiddish ayant précédé de peu celui en anglais.

Le texte en yiddish publié dans les YIVO bleter du Yiddish Scientific Institute – YIVO comportait déjà tout l'appareil critique avec ses 476 notes de bas de pages et la reproduction de plus de quarante fac-similés. L’ensemble du texte paru en deux livraisons au printemps et à l’été 1946 est à présent accessible en ligne sur ce site, aux pages 6 à 166 et 220 à 323, correspondant aux pages 1 à 160 et 209 à 312 de l’édition papier en yiddish.

Les archives du YIVO conservent une brochure qui montre l’importance cruciale que Max Weinreich accordait à la collecte de matériaux émanant de l’Allemagne nazie pour la connaissance approfondie de l’histoire juive. Dans le fonds Weinreich conservé au YIVO, de nombreuses notes bibliographiques manuscrites agraphées aux cahiers détachés de la publication de 1946 montrent que l’auteur a continué de rassembler de la documentation et de mettre à jour la bibliographie du sujet après la publication du livre. Un facicule est cependant clairement à l’origine de l’appareil critique que l’on trouvera en bas de pages. Il s’agit de 40 pages publiées par le Yiddish Scientific Institute – dans la série « organizatsye fun der yiddishe vissenshaft » (« organisation de la science du judaïsme »), numéro 34, 1945 – sous le titre Deziderata fun nazi-literatur vegn yidn, suivi de cette mention ajoutée en travers de la page : “Helft farzorgn di dozike bikher far visenshaftlekhe forshung” ; Desiderata of Nazi Literature on the Jews. «  Help procure these books for scientific research » ; c’est-à-dire : aidez-nous à nous procurer cette littérature nazie pour faire avancer la recherche historique. La page de présentation est datée du 18 septembre 1945, soit quelques mois avant la parution de Hitlers professorn.

Aux notes de bas de pages ont été ajoutés dans l'édition anglo-saxonne deux index, celui des personnes et des institutions, puis celui des périodiques, des collections et des maisons d’édition qui figurent également dans une forme moins développée dans la brochure de 1945.

La plus grande partie de la bibliographie utilisée par Max Weinreich étant en allemand, les titres d’ouvrages, les mentions de collections et les archives à partir desquelles les sources sont citées ont pour la plupart du temps été laissées en allemand, en conservant les caractères romains pour tout ce qui relève du nom de l’auteur ou de la source (la désignation de l’archive par exemple), les titres de collections ou de séries, les titres d’articles entre guillemets. Les italiques, comme dans les éditions en yiddish et en anglais supervisées par Max Weinreich, ont été exclusivement réservées aux titres. Dans le cas d’un choix contraire, les notes de bas de page eussent été presque totalement imprimées en italique. De même, nous n’avons pas toujours cherché à unifier certains choix typographiques des noms de lieux. La logique historique et géographique de l’auteur, sa connaissance presque tatillone des graphies et des langues, au gré du mouvement des frontières, des inventions géo-politiques des nazis et de leurs lubies raciales nous ont semblé devoir être respectées tant est précis son savoir dans ces domaines. Toute intervention eût été présomptueuse.

Si la traductrice a parfois ajouté des notes précédées d’une astérisque, c’est qu’il lui est arrivé de rencontrer elle-même une difficulté de compréhension ou un doute. Il lui a donc paru nécessaire d’éclaircir le texte ou le contexte dans ce cas précis. De même, quelques notes ont été rédigées lorsque les deux versions divergent de telle manière que l’une ou l’autre apporte un éclairage supplémentaire sur le sens du propos ou sur la vision de l’auteur, voire sur ses sentiments. Dans l’ensemble, le texte yiddish est marqué par l’expression d’une ironie amère et douloureuse qui ne s’entend pas toujours dans l’anglais. Dans son étude des légitimations académiques du nazisme, l’auteur fait preuve le plus souvent de ce que Walter Laqueur a nommé dans son dernier livre sur l’antisémitisme d’un “détachement clinique”. Mais il lui arrive, surtout en yiddish, de s’éloigner d’un énoncé distancé pour laisser affleurer sa répugnance envers la perversion d’intellectuels qui détournent leur discipline afin de prôner une idéologie meurtrière, et sa profonde empathie à l’égard de son peuple. Immense linguiste, Weinreich maîtrisait sans doute déjà parfaitement l’anglais au moment où il a réalisé ou supervisé la traduction de ce texte. Il avait étudié et enseigné aux États-Unis dans les années 1930 et avait dû s’y réfugier en 1939, au moment où les Allemands déclenchait la guerre. Mais il est certain que sa pensée et ses sentiments, au-delà de la mise en forme du résultat de ce monumental travail de recherche et de synthèse, trouvaient une expression plus naturelle et plus idiomatique en yiddish. Le français de cette traduction se devait d’être attentif à cette légère différence de ton, et de faire entendre la voix du yiddish qui venait d’être rayé de la carte d’Europe de l’Est et auquel Max Weinreich consacrera le reste de sa vie. Par ailleurs, une lecture minutieuse fait apparaître qu’au contraire, des précisions ont été apportées lors de la traduction vers l’anglais, celles-ci devant bien sûr être maintenues.

Au total, la traduction de ce livre fait intervenir quatre langues. Dans la plupart des cas, les passages traduits de l’allemand ont été revus à partir des extraits originaux, notamment pour tous les extraits reproduits en fac-similé à la fin du texte. Le long document reproduit en pages 269-271, a été traduit de l’allemand par Gérard Marino.

Il va sans dire que l’on n’a pas cherché à améliorer le style abscons de la pseudo-science allemande dans les citations. Il était cependant nécessaire de traduire au mieux les idées délirantes et perverses des auteurs cités par Max Weinreich afin de les restituer à leur propre logique comme de rendre compréhensible la démonstration de l’auteur.

La traductrice a bénéficié des conseils d’Olivier Mannoni sur divers aspects, notamment pour les abbréviations de titres universitaires allemands, qu’il en soit remercié ici. Ma reconnaissance envers Hershl Paul Glasser, directeur du Max Weinreich Center au YIVO qui a fraternellement partagé son savoir et sa bibliothèque, demanderait à s’exprimer en yiddish, a hartsikn dank. Dans la plupart des cas, les mentions abbrégées demeurées opaques et les références d’archives qui semblaient énigmatiques ont été laissées telles quelles, respectant la minutie avec laquelle Max Weinreich a précisé la provenance et la référence de ses sources.




Et puisqu'il faut bien montrer la couverture du livre publié par Les Belles Lettres, Paris, 2013, la voici le lien avec avec ce très grand éditeur.


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