Une Reine Esther nommée Rose
Ces chansons de femmes, d'amour et de combat sont dédiées à mes filles chéries qui sauront pourquoi celles-ci et pour ma maman Rose Portnoi qui aurait eu 95 ans aujourd'hui le 15 adar, Shushan Purim, le Purim de Suze, un jour où les Juifs ont remporté une victoire sur leur persécuteurs.
Naître le 15 adar s'accordait bien à la personnalité de Rose, car elle avait en effet traversé toutes les phases de la préparation à l'épreuve par le jeûne, la réalisation du plan à travers d'habiles stratagèmes mis en oeuvre avec subtilité, puis le succès d'une entreprise risquée où elle a joué des connivences de papa avec le régime et de sa capacité à le soutenir affectivement et moralement. Je n'irais pas comparer papa à Ahashverosh, même s'il lui est arrivé d'être shiker plus que de raison, mais l'idiot de roi ne tenait pas l'alcool, lui, contrairement à mon héros de père (comparer les midrashim avec les mémoires de papa).
Maman avait tout d'une héroïne. De celles dont on chante la persévérance dans les récits, faisant preuve de dévouement à leur famille et à leur peuple et surtout d'un sens du discernement qui tient de la vision du grand homme politique.
Peut-être croyez-vous que les reines, les femmes qui doivent jouer leur vie sur une ruse et qu'on appellerait des intrigantes si elles ne se consacraient pas à une mission plus élevée, vous croyez peut-être que ces femmes sont des gentilles. Non, ce sont des femmes un peu sévères qui suivent un principe invisible aux autres. Ce sont des femmes qui ont un oeil sur chaque détail afin que la visée intérieure ne soit pas déviée. Elles ne manifestent pas de tendresse excessive. Vous reconnaissez quelqu'un ?
C'est le moment ici de citer la réflexion d'un bon ami hongrois qui a vu la photographie de ma petite-fille (la lumière de mes yeux, dois-je le préciser ?) : " Tu ne penses pas que c'est un signe qu'après son échec comme système social le matriarcat ancestral s'est réfugié dans les ADN ?"
En Russie, Rose marchait sur la pointe des pieds sur un fil tendu entre le précipice qu'ouvrait le communisme et la Halakhah, la loi juive qu'elle appliquait sinon à la lettre, du moins dans son esprit, usant d'une forme de marranisme, de judaïsme caché qui nous a permis de sortir de là sans une écorchure à notre identité.
Cette dissimulation comportait sa part d'assimilation dans une société dont tout n'était pas à rejeter mais qu'il convenait de fuir pour ne pas finir, comme l'écrivait papa, avec les ours de Sibérie.
Nous sommes là et vivants, et forts, grâce à ces qualités qui sont celles que la Meguilah de Purim confère à Esther. Maman ne pouvait naître que le 15 adar.
Le document qui faisait état de son décès a été établi sur la déclaration d'une certaine Shéhérazade et il était signé de la main d'une fonctionnaire du nom HACHEM.