VINKL LITÈ : A BLINDÈ KU
Parmi vous, quelques-uns se souviennent-il avoir entendu leurs parents utiliser l'expression "a blindè ku" pour désigner une personne qui manquait "à tel point" - maman affectionnait cette locution - de perspicacité qu'elle se croyait de surcroît maligne ? Ou bien ce qualificatif était-il un compliment ad hoc forgé par ma mère quand les métaphores humaines s'épuisaient et que les bras lui en tombaient ?De temps en temps, le plus souvent quand je fais la vaisselle, j'entends sa voix, et il est rare qu'elle susurre. ll y a bien longtemps, je travaillais dans une institution qui rémunérait les chômeurs, et j'attendais mon premier enfant. Je vais là où le roi se rend seul, et me lave les mains. L'eau coule très chaude et je ressens la brûlure, mais surtout une voix me dit "Got hot dir geshtrofn". Dieu t'a punie. Pensez-vous que je me suis jetée dans les bras de la religion ?
Non, mais je me suis interrogée sur cette épiphanie sonore. À la maison, nous avions pris l'habitude de rétorquer en français, après avoir répondu en russe quand nous étions de l'autre côté du Rideau de fer. La langue dans laquelle nous baignions depuis notre tendre enfance était néanmoins le yiddish, car mes parents n'allaient pas changer d'idiome vernaculaire à chaque fois qu'un envahisseur déplaçait les frontières ou qu'ils étaient contraints de fuir la barbarie.
Ainsi donc, la Voix me parlait en yiddish et dirigeait fermement ce que je ne saurais appeler mes pensées. Une instance entre le Surmoi et le Ça prenait la peine de s'adresser à moi sur un ton qui dissimulait avec peine la source de son autorité, car pour tout vous avouer et ne rien vous cacher, mon père ne se serait jamais exprimé de la sorte.
Ces hallucinations auditives ne m'auraient pas permis d'écrire un ouvrage de codification de la loi juive et ne me servirent pas à appliquer les réformes indispensables à réguler mes passions toujours trop vives - encore que - mais je les ai toujours prises extrêmement au sérieux, et je tirais les conclusions qui s'imposaient de cette première intervention. C'est alors que je décidais d'étudier sérieusement le yiddish puisque c'était dans cette langue que s'exprimait une partie non négligeable de mon inconscient.
Mon amour des vaches, très tot ressenti, n'en a jamais été ébranlé.
Comme un fait exprès, Gogol m'interdit l'accès à ma petite vache turquoise où je voulais poster ce bulletin de santé. Mais il y a les autres.